Le conte breton des deux bossus

Pour ceux qui ne connaissent pas ce conte breton je vous le partage aujourd’hui à J-1 avant mes vacances en Bretagne. C’est la première histoire bretonne que l’on m’a lue quand j’étais petite. La fin est surprenante! Partez à la découverte de Kaour et de Laouig… Bonne lecture !

LES DEUX BOSSUS

Il y avait une fois, une fois il n’y avait pas, une autre fois il y avait encore et une fois il y aura deux tailleurs, sauf votre respect, qui habitaient la même rue et étaient affligés de la même difformité : ils étaient aussi bossus l’un que l’autre. Cela leur valait d’être la risée de toute la paroisse et ils ne pouvaient croiser personne sur leur chemin sans en recevoir une volée de quolibets.

L’un s’appelait Kaour et l’autre Laouig.

Kaour était d’un heureux tempérament ; il répondait aux plaisanteries par des plaisanteries encore plus fines ; tout le temps qu’il était installé à coudre, il n’arrêtait pas de raconter à qui voulait les entendre de savoureuses histoires et de chanter d’une voix de fausset des chansonnettes humoristiques et des romances sentimentales ; il prenait la vie par le bon bout.

Laouig, au contraire, était continuellement renfrogné, il supportait mal les moqueries et ne se mettait guère en frais pour distraire ses pratiques. Ajoutons qu’il aimait l’argent et que lorsqu’il pouvait voler son prochain il ne laissait jamais passer l’occasion. Bref, il était de ces tailleurs qui justifient le dicton : « Ar c’hemener n’eo ket eun dcn met
kenu’iier ‘lui ncira ken » (Le tailleur n’est pas un homme mais un tailleur et rien de plus).

Une nuit, Kaour rentrait d’une journée de travail à la ferme de Penhoat-uhella, où il avait eu à confectionner les habits de noce du fils de la maison, et traversait au clair de lune une grande lande où, parmi les ajoncs, se dressaient plusieurs menhirs. Soudain, alors qu’il en atteignait le sommet, il entendit de petites voix fluettes qui chantaient : Dilun, dimeurz, dimerc’her (lundi, mardi, mercredi).
— Tiens ! se demanda-t-il, qui donc peut chanter ainsi dans ce lieu désert ? Il s’approcha tout doucement, en évitant de faire le moindre bruit, et vit une bonne centaine de petits korrigans qui dansaient en rond en se tenant par la main. L’un d’eux s’époumonait à chanter : Dilun, dimeurz, dimerc’her et tous les autres reprenaient en chœur, en redoublant leurs entrechats : Dilun, dimeurz, dimerc’her
Kaour fit prudemment demi-tour, sur la pointe des pieds, car il avait entendu dire que les voyageurs attardés qui se trouvent traverser une lande où dansent les korrigans est sûr d’être entraîné dans leur ronde et forcé de tourner avec eux jusqu’au premier chant du coq. Mais si discrètement qu’il eût opéré sa retraite, il n’en fut pas moins remarqué par les danseurs nocturnes qui, interrompant leur ronde se ruèrent vers lui en poussant des cris stridents et l’eurent bientôt entouré comme un essaim de mouches entoure une goutte de miel. Il n’en menait pas large et quand les petits êtres lui crièrent tous à
la fois : « Viens danser avec nous », il se dit qu’il ne serait sans doute pas bon de les contrarier. La ronde se reforma donc avec lui et le chant reprit : Dilun, dimeurz, dimerc’her !
Au bout d’un certain temps, Kaour commença à être fatigué de tourner en rond et il en avait assez de répéter sans cesse les mêmes paroles.

Pour gagner un peu de répit, il dit :
— Faites excuse, mes gentilshommes, mais votre chanson me paraît bien peu variée. Elle est trop courte et il serait temps de chanter la suite.
Les korrigans s’arrêtèrent (c’était toujours autant de repos de pris) et parurent perplexes.
— C’est qu’il n’y a pas de suite, dirent-ils.
— Comment il n’y a pas de suite ? Mais je la connais, moi, la suite.
— Vrai ? Tu connais la suite ? Oh ! alors dis-la nous.
— Bien volontiers.
Et le tailleur, après avoir repris son souffle, de chanter : Diriaou ha digwener ! (Jeudi et vendredi)
Les korrigans poussèrent des acclamations enthousiastes.
— You ! You ! Magnifique ! Voilà qui nous fait une chanson magnifique ! Le nombre de pieds y est, la rime aussi. Allons, les amis, reprenons la danse ! Et ils se remirent à danser en chantant : Dilun, dimeurz., dimerc’her, Diriaou ha digwener !
Mais ils étaient maintenant pleins d’égards pour Kaour et veillaient à ne pas trop le fatiguer. Quand ils virent que ses pas n’étaient plus aussi assurés ils arrêtèrent leur ronde et leur chef demanda :
— Que désires-tu, Kaour, comme récompense pour nous avoir appris un si beau chant?
— Comme récompense ? Ma foi… je ne sais pas… je ne cherchais pas une récompense.
— Eh bien, je t’offre le choix entre un sac d’or et d’argent ou la suppression de ta bosse.
Le tailleur n’hésita pas.
— Si vous êtes en mesure de m’enlever ma bosse et de me rendre aussi droit que le bâton de la bannière de ma paroisse, alors là ce n’est pas de refus !
Aussitôt les nains se jetèrent sur lui, le lancèrent en l’air, le firent pirouetter et se le passèrent de l’un à l’autre ; comme un ballon de rugby. Quand il retomba, tout étourdi, sur ses pieds, il n’avait plus de bosse et était aussi droit que le bâton de la bannière de sa paroisse.

Le lendemain, Kaour rencontra son collègue Laouig qui, en le voyant, se frotta plusieurs fois les yeux :
— Ce n’est pas possible ! C’est toi, Kaour?
— Comme tu le vois : c’est moi et nul autre.
— Ma parole ! tu as bien grandi, d’un seul coup ; d’une coudée. Et qu’as-tu fait de ta bosse ?
— Ma bosse ? Quelle bosse ? Tu vois bien que je n’ai pas de bosse. Je ne suis pas un vilain bossu
comme toi, Laouig.
— Cesse de te moquer. Tu n’as plus de bosse mais tu en avais une pas plus tard qu’hier. Il y a de la
sorcellerie là-dessous.
Kaour raconta ce qui lui était arrivé :
— Satordellik ! se dit Laouig, il faut que j’aille moi aussi, la nuit prochaine, faire un tour sur la lande.
Mais je ne serai pas aussi sot que ce pauvre Kaour : ce que je choisirai, ce sera le sac plein d’or et d’argent.

Dès que la lune se leva, il se mit en route et lorsqu’il aperçut les korrigans dansant en rond, il s’avança hardiment vers eux.
— Viens danser avec nous, lui crièrent-ils.
Il pénétra dans le cercle et chanta avec eux : Dilun, dimeurz, dimerc’her, Diriaou ha digwener !
Mais bientôt, il leur demanda :
— Ne savez-vous chanter que cela ? Ne connaissez-vous pas la suite ?
— Il n’y a pas de suite, répondirent-ils. En connaîtrais-tu une ?
— Parfaitement.
— Oh ! dis-la nous alors. Dis-la vite !
— Ecoutez :
Dilun, dimeurz, dimerc’her, Diriaou ha digwener Ha disadorn ha disul ! (Et samedi et dimanche)
Les korrigans firent la moue.
— Ce n’est pas si joli, dit l’un.
— Ça ne rime pas, fit un autre.
— C’était beaucoup mieux avant, ajouta un troisième.
Mais leur chef intervint :
— Ça ne fait rien, il faut tenir compte de l’intention. Nous avons récompensé Kaour, en lui offrant de choisir entre la richesse et la beauté. Nous devons la même récompense à celui-ci.
— Vous m’offrez donc le même choix ? demanda Laouig.
— Oui.
— En ce cas, je choisis ce que Kaour a laissé.

Les nains se jetèrent sur lui, le lancèrent en l’air, le firent pirouetter et se le passèrent de l’un à l’autre comme un ballon de rugby. Quand il retomba, tout étourdi, sur ses pieds, il avait deux bosses. La sienne et celle de Kaour.

Extrait de : Contes et légendes du pays breton de Yann Brekilien

Si vous voulez poursuivre votre lecture par la légende bretonne du Bag Noz, c’est par ici! 

Mélusine à Paris

Une bretonne à Paris

2 commentaires

  1. Merci pour cette charmante histoire ! Fort intéressant mais si je ne me trompe pas, il existe déjà des contes similaires, non ? Je n’arrive pas à me rappeler, un peu d’aide serait la bienvenue.

    • Il y a effectivement plusieurs variantes à ce conte avec les mois par exemple… J’ai pris la version celle que j’aimais lire quand j’étais plus petite. Si vous aimez les contes et les légendes bretonnes, je vous conseille « Contes et Légendes du pays breton » de Yann Brekilien. Merci de votre visite !

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *