Ar Bobl : l’histoire d’une revue en français & en breton

10 années d’existence ont suffit à cette revue carhaisienne pour faire partie intégrante de l’histoire de la presse bretonne. Avec la disparition de la génération « Belle époque » elle est aujourd’hui tombée un peu dans l’oubli. Si aujourd’hui on ne jure que par Le Télégramme ou par Ouest-France, ar Bobl était très populaire avant la Première Guerre mondiale ; essentiellement dans la région historique du Poher (la Haute-Cornouaille). Retour sur l’histoire de cette revue bilingue éditée par le très controversé François Jaffrennou.

L’imprimerie du Peuple s’installe à Carhaix

En août 1904, François Jaffrennou, le carnoetien et Alexandre Le Goaziou, le morlaisien ouvrent leur première imprimerie rue des Carmes à Carhaix. L’un est écrivain et journaliste et l’autre est chef d’atelier dans une imprimerie. Le premier numéro d’ar Bobl (le peuple en breton) parait le samedi 24 septembre 1904 ; il est vendu 5 centimes. Quant à l’abonnement annuel il est de 4 francs. Composée de 4 pages, la revue propose quelques rubriques en breton et d’autres en langue française ; il permet aussi à des commerçants et à des artisans de se faire un peu de publicité en y achetant des encarts publicitaires en page 4. Deux devises en langue bretonne apparaissent sous l’intitulé de la revue : Evid ar vro dre ar Bobl (Pour le pays breton grâce au peuple breton) et Frankiz da beb Barn ! (Liberté de jugement). Les articles traitent essentiellement des événements nationaux, de l’actualité locale du Poher et des mouvements politiques bretons. Les lieux de vente ne sont pas nombreux mais la revue hebdomadaire du samedi rencontre un fort succès parmi les paysans de la région. La revue était imprimée en 4000 exemplaires en moyenne et comptait dès sa première année 600 abonnés. Les points de vente affichaient sur leurs façades une plaque métallique bleue où y était inscrit : Ama ve gwerzet ar Bobl (Ici, on vend ar Bobl). L’imprimerie s’agrandit et quitte la rue des Carmes pour s’installer sur l’actuelle avenue Général de Gaulle de Carhaix. La revue ar Vro (le pays) est aussi publié tous les mois par Jaffrennou et Le Goaziou.

Une femme bretonne lit Ar Bobl et Ar Vro

Carte postale du début du XXe siècle. Une femme bretonne lit Ar Bobl et Ar Vro

Un journal politique

Ar Bobl est avant tout un journal politique dirigé par un militant régionaliste et fervent défenseur du breton. Avant la création d’ar Bobl, François Jaffrennou, dit Taldir ab Hernin (son nom druidique depuis 1899) a été secrétaire de la section de langue et de littérature bretonnes au parti de l’Union régionaliste bretonne présidé par le célèbre Anatole Le Braz. Il écrit régulièrement en breton pour le journal Résistance puis pour Ouest-Eclair (l’actuel Ouest-France). N’oublions pas qu’il est aussi l’auteur de notre hymne : le Bro gozh ma zadoù qui reprend l’air de celui du Pays de Galles. Au début du XXe siècle, il revendique fortement l’autonomie de la Bretagne et la préservation de la langue bretonne dans un contexte où les langues régionales sont menacées par la IIIe République. De plus il ne cache pas son soutien à certains candidats pro-cléricaux lors des municipales ou des législatives.

D’autres figures politiques et militantes écrivent aussi pour ar Bobl comme Louis Napoléon Le Roux (l’un des fondateurs du Parti national breton) ou Léon Le Berre (qui écrit pour le Mouvement breton et fondateur du Mouvement panceltique). Ar Bobl se fait rapidement des ennemis au sein de la classe politique bretonne notamment chez les radicaux de gauches et les anticléricaux. Même certains journaux nationaux demandent son interdiction comme L’Aurore ou La Lanterne.

François Jaffrennou, fondateur d'ar Bobl

François Jaffrennou, fondateur d’ar Bobl

La fin d’ar Bobl

En 1906, Le Goaziou cède ses parts et laisse Jaffrennou seul maître aux commandes d’ar Bobl. Malgré la stabilité des ventes, la situation financière du journal est au plus mal deux ans plus tard. Jaffrennou est contraint de faire appel à une trentaine d’actionnaires pour redresser la barre. Parmi eux des politiciens et des chefs d’entreprises. Dès lors, la revue ne cherche plus à cacher ses orientations politiques et relaie fortement celles de ses actionnaires. Dans un contexte où la laïcité est au cœur de tous les débats, la position cléricale d’ar Bobl n’est pas au goût du jour. Jaffrennou doit faire face à différents procès pour diffamation. La Première Guerre mondiale accélère la fin d’ar Bobl, puisqu’en 1914 Jaffrennou est mobilisé et vend son imprimerie.

Cependant, la fin d’ar Bobl ne fait pas tomber Jaffrennou dans l’oubli puisqu’il reste très actif politiquement en Bretagne et écrit dans différentes revues en breton. Ecrivain prolifique, il fut à l’initiative d’an Oaled (le foyer) dans les années 1920, une revue trimestrielle régionaliste.

Personnage emblématique breton très controversé, aimé ou détesté, on peut lui reconnaître tout de même sa volonté de préserver le breton à travers ar Bobl dans un contexte où officiellement le français avait droit de cité à l’école, où le breton était considérée comme la langue des « ploucs » et où on lavait au savon les bouches des écoliers qui osaient parler breton …

Si vous souhaitez en savoir plus sur cette revue, je vous invite à consulter le site très complet arbobl.free.fr

Mélusine à Paris

Une bretonne à Paris

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